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L’accent doit être mis sur les archives ouvertes

Publié le 18 mars 2005

Professeur des universités en sciences du langage et informatique, en poste à l’université de Franche-Comté, Thierry Chanier est également l’un des créateurs de l’archive ÉduTICE et l’un des responsables de la revue Alsic. Il vient également de publier chez L’Harmattan un ouvrage intitulé Archives ouvertes et publication scientifique – Comment mettre en place l’accès libre aux résultats de la recherche ?.


Question : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au mouvement en faveur du Libre Accès ?

chanier250.jpgThierry Chanier : A travers le lancement, en juin 1998, de la revue Alsic, qui a été une des premières revues en langue française accessible librement en ligne. Un choix basé sur le modèle d’une revue américaine, Language Learning and Technology, lancée un an auparavant. Le fait d’abandonner le papier pour passer à l’électronique nous semblait être le meilleur moyen de toucher un public géographiquement dispersé. Quant au modèle de diffusion, le choix de l’accès libre nous paraissait tout simplement évident.

Q. : Comment Alsic a-t-elle été accueillie lors de son lancement ?

T. C. : Alsic a dès le départ été bien perçue au sein de notre communauté. En terme de crédibilité scientifique tout d’abord, car nous avons immédiatement mis en place un comité de lecture et opté pour une parution régulière, comme pour toute revue scientifique. La visibilité d’Alsic a par contre été plus lente à établir. La spécificité de notre domaine (les TIC dans l’apprentissage des langues) fait qu’il échappe encore aux classifications fondées sur le calcul d’un facteur d’impact. En d’autres termes, celle-ci s’est construite à travers le référencement dans les bases de données, la fréquentation du site (aujourd’hui quelque 3 000 lecteurs) ainsi que par le biais des citations croisées.

Q. : Vous avez également été étroitement lié, en partenariat avec le CCSD/CNRS (Centre pour la Communication Scientifique Directe), au développement de l’archive ÉduTICE – archive ouverte dans le domaine de l’éducation et des TIC -.

T. C. : L’archive EduTICE est l’une des facettes du programme de recherche interdisciplinaire sur les TIC pour l’éducation et la formation, baptisé TémaTICE. Ce dernier est né de la nécessité de mettre en commun des productions scientifiques issues de notre domaine : ressources logicielles, documentaires, articles scientifiques… L’aspect pluridisciplinaire de notre domaine rendait indispensable la création d’un cadre d’échanges. Il s’agissait d’échanger des informations autour des équipes de recherche, des thématiques, des ressources accessibles, jusqu’aux informations sur les séminaires nationaux et internationaux. Le deuxième volet du projet était lui consacré à la mise en place d’une archive, ÉduTICE.
A cette époque, nous avions le choix entre développer seuls cette archive autour du logiciel e-print ou opérer dans un cadre de mutualisation national. Le désir d’extension du projet d’archives ouvertes HAL, inauguré par le CCSD, aux domaines des sciences humaines et sociales (SHS) nous a conduit à préférer la seconde solution.
Cette collaboration s’est inscrite dans un partenariat gagnant/gagnant : nous avons travaillé pendant un an, principalement sur les métadonnées, qui restent à mon sens le point faible des archives, et l’adaptabilité de l’interface, pendant que l’équipe du CCSD préparait la nouvelle version de HAL.
Hormis les aspects techniques, l’une des principales caractéristiques d’ÉduTICE est que le dépôt d’articles déjà publiés est effectué par des documentalistes, avec bien sûr l’accord de l’auteur, de façon à constituer une mémoire de notre domaine. La fonction d’auto-archivage n’a été implémentée qu’un an plus tard.

Q. : Cela semble un point sur lequel vous insistez particulièrement ?

T. C. : Oui, car pour l’heure, parmi les quelque 600 documents déposés dans ÉduTICE, l’auto-archivage apparaît comme un phénomène minoritaire. Le geste de dépôt par l’auteur de ses œuvres dans une archive est totalement nouveau en SHS. Le besoin de pré-publication dans les formes connues en physique, par exemple, n’existe pas. Il nous faut expliquer toute l’importance de l’auto-archivage dans la procédure de création et de diffusion des résultats de la recherche. L’implication personnelle directe des auteurs est fondamentale. Elle a besoin d’être complétée par un travail de documentation par des professionnels à l’intérieur des archives et par un engagement explicite des directions de recherche qui apporteront le cadre formel à cette procédure.
Je crois sincèrement qu’à l’image de ce qui a été proposé aux Etats-Unis par les NIH (National Institutes of Health), les contrats de recherche financés sur des crédits publics devraient systématiquement mentionner l’obligation du dépôt des résultats dans des archives ouvertes. De même pour les nombreuses revues financées pour partie par le Ministère de la Recherche, le CNRS ou d’autres EPST, et pour lesquelles aucune contre-partie n’est demandée aux éditeurs. Il ne s’agit bien sûr pas ici de casser un secteur d’activité économique, mais au moins de garantir, en contrepartie des subventions, un dépôt immédiat des pré-publications suivi d’un dépôt des publications, soit immédiat, soit différé jusqu’à l’expiration d’un délai de latence (moving wall) compris entre 6 et 18 mois maximum.

Q. : Comment voyez-vous l’évolution du mouvement en faveur du Libre Accès ?

T. C. : Tout d’abord, même si j’ai travaillé sur plusieurs projets de revue en accès libre, je reste, à l’image de Stevan Harnad, convaincu que l’accent doit être mis sur les archives ouvertes pour une raison simple : le processus de conversion des revues reste trop lent ! Et ce particulièrement en SHS où nous avons une tradition éditoriale morcelée. Une dispersion éditoriale qui provient de modes de pensées qui, contrairement à ce qui se passe en STM, sont moins axés sur le partage d’informations, le regroupement de communautés en réseaux. C’est principalement une question de changement de culture du travail. De plus, malgré les efforts apparents, la plupart des éditeurs ne semblent pas pressés d’intégrer ces changements.
Je ne crois pas pour autant qu’il faille imposer ces nouveaux modèles de diffusion des savoirs, mais bien plutôt soutenir les initiatives qui se mettent en place. Soutenir et bien sûr sensibiliser, afin que progressivement la phase d’archivage – ou d’auto-archivage – soit totalement intégrée dans le cycle de la publication scientifique et que soit aussi mis à l’ordre du jour l’expérimentation du modèle auteur-payeur en SHS.

Thierry Chanier a participé lundi 21 mars 2005 à la table-ronde « Revues électroniques et archives ouvertes : la communication scientifique à l’épreuve des technologies de l’information » qui a eu lieu à 14h30 au Bar des Sciences du Salon du Livre (stand D160/D178, Hall 1).

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