De l’intérêt de promouvoir le libre accès dans l’enceinte du SMSI
Chercheur au Laboratoire de Mathématiques Appliquées de l’Ecole Nationale des Sciences et Techniques Avancées (ENSTA) à Paris, Francis Muguet est aussi à l’initative du groupe de travail sur l’information scientifique qui participe au Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI – WSIS) dont la seconde phase se déroulera à Tunis en novembre prochain.
Si la première phase du SMSI (Genève, décembre 2003) avait permis l’introduction du concept de libre accès dans la Déclaration de principe, quelles perspectives l’étape tunisienne ouvre-t-elle ? Eléments de réponse avec Francis Muguet…
Question : Dans le cadre des discussions du SMSI, vous insistez sur le développement de partenariats multi-acteurs pour promouvoir le libre accès. Pourquoi ?
Francis Muguet : Il faut savoir que les organismes et agences de financement de la recherche ne disposent pas de représentation officielle au SMSI. Or, le précédent sommet de Genève nous a permis de nous rendre compte que le champ des questions relatives à l’information scientifique était occupé par des associations professionnelles internationales qui représentent les différents acteurs de l’édition scientifique et ne défendent donc pas le même point de vue que la communauté scientifique. Ce qui s’avère particulièrement vrai concernant l’accès libre aux données issues de la recherche dont la promotion se fait au travers de groupes de travail émanant de la société civile.
Concernant les partenariats exclusifs, l’objectif consiste à rapprocher les organismes publics de recherche et les délégations étatiques afin d’aboutir à une prise de position commune et donc de disposer d’un poids institutionnel.
Q. : Pourtant, cette institutionnalisation du mouvement en faveur du libre accès existe déjà si l’on se réfère à la Déclaration de Berlin, premier texte à recueillir la signature d’institutions publiques et non uniquement de chercheurs engagés à titre individuel ?
F. M. : Certes, la Déclaration de Berlin nous a fourni une excellente base pour les discussions avec les différentes délégations, notamment avec les représentants européens. Mais il ne s’agit néanmoins que d’une déclaration. Derrière Berlin, nous n’avons ni comité, ni bureau, soit aucune entité représentative offrant une reconnaissance et un contact direct. Le soutien de délégations officielles, à travers le type de partenariats précédemment évoqué, permettrait à l’inverse d’engager la responsabilité des Etats signataires de la Déclaration de principe du SMSI devant les instances de l’ONU.
Tout l’intérêt de promouvoir le libre accès dans l’enceinte du SMSI repose sur la valeur juridique des recommandations énoncées dans la Déclaration de principes. Sur le plan international, les Etats signataires sont d’une certaine façon dégagés de leur responsabilité si l’application de telle ou telle recommandation se trouve aller à l’encontre d’autres accords (y compris même l’OMC). Elles ont également une valeur contraignante vis-à-vis des instances onusiennes spécialisées en charge du suivi de la mise en œuvre des recommandations. Par ailleurs, si une institution membre d’un pays signataire s’engage dans la mise en œuvre de ces recommandations, elle ne peut de ce fait être critiquée par les autorités nationales. Enfin, ce type de recommandations offre également un éclairage aux législateurs dans le cadre des consultations préalables à l’élaboration de lois nationales.
En outre, il ne faut pas oublier non plus que l’un des thèmes forts du précédent Sommet, comme de celui qui se profile, concerne le ‘fossé numérique’ Nord/Sud. Or, le libre accès apparaît comme une disposition indispensable pour faciliter à la fois l’accès des pays en développement aux résultats de la recherche ainsi que la visibilité des résultats scientifiques obtenus par ces derniers. Le libre accès s’inscrit incontestablement dans la perspective du développement durable.
Q. : Vous évoquiez précédemment la présence d’associations professionnelles représentant les acteurs de l’édition scientifique lors du dernier Sommet et de la divergence de point de vue sur la question du libre accès. Pourtant, depuis le Sommet de Genève en décembre 2003, un certain nombre d’éditeurs propose désormais une alternative, laissant à l’auteur le choix de publier ou non en libre accès (Open Choice chez Springer, Oxford Open pour Oxford Publishing…).
F. M. : Effectivement. Mais je ne crois pas que cela corresponde à une réelle volonté de favoriser le libre accès. Il s’agit plus d’une décision politiquement correcte de la part des éditeurs. Si un chercheur souhaite rendre son article accessible gratuitement, c’est à lui, ou à sa tutelle, de prendre en charge les frais de publication. Au final, c’est une bonne affaire : le modèle auteur/payeur continue d’assurer des rentrées d’argent et, parallèlement, le coût des abonnements ne baisse pas. Même les modèles du type de celui privilégié par BioMedCentral ne me semblent pas être une solution. Je dirai que l’on doit s’orienter vers une prise en charge directe des nouvelles revues par les institutions concernées.
Q. : Quid des archives ouvertes ?
F. M. : Dans un premier temps, la controverse entre archives centralisées et archives distribuées se résume selon moi à une querelle d’ordre juridique : à savoir qui en aura la gestion ainsi que le contrôle. L’élément fondamental reste l’interopérabilité de ces archives. Savoir qui les prend en charge, entre les différents organismes de recherche, les universités… m’apparaît secondaire. Cependant, en France, les organismes de recherche – et principalement les signataires de Berlin – me semblent plus sensibilisés à la question du libre accès que les universités.
Si l’on prend le cas du CNRS, qui a annoncé son intention de mettre en place une archive institutionnelle afin de recenser l’ensemble de sa production, l’idée me semble bonne. Même si l’ensemble des ressources que renfermera à terme cette archive ne sera pas libre d’accès, cela incitera tout de même les chercheurs à déposer leur publication au même endroit et facilitera d’autant les échanges au sein de l’organisme.
Q. : Pour en revenir au SMSI, pensez-vous que le Sommet de Tunis permettra d’aller plus loin dans la prise en compte du libre accès ?
F. M. : Il est encore un peu tôt pour le dire. Les deux premiers PrepCom (réunions du comité préparatoire) ont été respectivement consacré à la question des droits de l’homme ainsi qu’à celle du financement du fonds de solidarité numérique. Le PrepCom 3, qui se tiendra au mois de septembre prochain à Genève, sera pour sa part dédié à la gouvernance de l’internet. C’est ici que se décidera la participation de la société civile. Cela dépendra également des instances qui se verront confier la mise en oeuvre des recommandations et, bien sûr, de la représentation de la société civile dans ces dernières.